WE ALL JUST GIVE UP
WE ALL STAND DOWN
WITH NO LESSON LEARNED
WITH OUR EYES HALF SHUT
give up - half moon run

Debout près de la fenêtre du salon, café aux lèvres, Leith observait les silhouettes lointaines qui fourmillaient sur la rue, en bas, très bas, très loin. L'appartement qu'il partageait avec Cleo se situait presque au sommet d'une haute tour, l'un de ces immeubles exagérément imposants de Richmond Hill. La vue sur la ville donnait à Leith une désagréable sensation de nausée due à un mélange de vertige et de sentiment d'imposture. L'opulence du quartier le rendait définitivement mal à l'aise. Depuis qu'il était tout jeune, Leith avait su composer avec les étalements excessifs de richesses de ses parents (et, somme toute, de tout son entourage) sans réellement s'en plaindre. Après tout, se disait-il, il finirait bien un jour par se sortir de ce monde trop exhibitionniste à son goût. Seulement, lorsque Eleonor Merlyn lui offrit d'assumer une grande partie des coûts de location de cet appartement en guise de cadeau de fiançailles, Leith s'était surpris à accepter sans la moindre opposition. Si cela fait plaisir à Cleo, tel était son mantra. Sans oublier que Leith se trouvait passablement ridicule, avec ses first world problems : on lui fournissait un toit merveilleux, l'argent pleuvait sur sa tête blonde, sans parler de l'emploi qu'il avait obtenu un peu trop aisément – sa mère y était nécessairement pour quelque chose. Bref, Leith possédait tout ce qu'il pouvait possiblement désirer. Et même s'il lui arrivait d'envier la jolie maison de plage de Saige, Leith...

Il déposa sa tasse de café sur la table et se dirigea d'un pas ferme vers la porte. Lorsque le visage de sa sœur fit irruption dans ses pensées, Leith avait été soudainement été empoigné d'un nouveau sentiment, tout aussi désagréable que le vertige qui nouait son estomac. Saige, Saige, Saige. Son nom tournait en boucle dans les pensées du jeune homme qui, d'un pas rapide et étrangement décidé pour une heure si jeune, se dirigea vers la jolie maison de Rosedale Heights dont il enviait les couleurs et la chaleur. La demeure de Saige était plutôt loin de son appartement, mais tant pis. La distance à parcourir ne put qu'être bénéfique au plus jeune Merlyn, puisque le temps ainsi passé lui permit de mettre un peu plus d'ordre dans ses pensées éparses. Tout d'abord, Leith était certain d'une chose : le froid qui persistait entre sa sœur et lui se devait de cesser, et ce, dès maintenant. Comment y parvenir, ça, Leith l'ignorait. Il désirait à tout prix éviter une énième confrontation avec Saige. Si les deux jeunes gens avaient entretenu tout au long de leur existence une relation simple, soudée et épanouie, leur lien s'était détérioré au cours des dix derniers mois. Mais en ce matin pourtant banal, Leith était pris d'une détermination nouvelle et étrangement inhabituelle.

En s'arrêtant finalement au pas de la porte de sa sœur, Leith s'inquiéta un instant : et si elle était déjà de garde à l'hôpital, ou tout simplement en sortie dans les magasins, ou...? Leith soupira en frappant doucement à la porte. Sa fébrilité ne fit que grimper en flèche lorsqu'il entendit le claquement des chaussures de Saige, reconnaissable entre tous, de l'autre côté de la porte.  « Salut, » lâcha-t-il platement lorsqu'il fit finalement face à sa sœur. Leith sentait sa belle motivation fondre lentement sous le regard  qu'il pressentait glacial de cette femme qu'il connaissait pourtant mieux que quiconque. Histoire de recouvrer une certaine contenance, Leith se pencha et caressa le chien de Saige. Cette dernière l'accueillit étonnamment de paroles douces et empreintes d'une sincérité non-feinte. Reprenant confiance, Leith se redressa et sourit à son tour. « Ça fait une éternité, tout de même, » répondit-il en guise d'introduction, sourire aux lèvres.  « Mais... Je crois qu'on peut s'épargner les banalités, parce que je ne suis pas ici pour te parler de... je sais pas, de la météo. Tu as bien dû le deviner, en fait, » lança-t-il sur un ton qu'il espérait léger. Leith ne pouvait supporter la lourdeur que prenait l'atmosphère dès que Saige et lui se retrouvaient dans la même pièce, ces derniers temps. Les rires détendus, sourires complices, discussions anodines et autres échanges plus sérieux lui manquaient affreusement. Saige, c'était un peu la personne sur qui il avait toujours pu reposer, sans jamais douter ne serait-ce qu'une seconde qu'elle puisse un jour le laisser tomber. La loyauté indéfectible des Merlyn était parfaitement illustrée par leur duo pourtant détonnant. Sentir leur relation s'égrener douloureusement à la suite d'un risible malentendu lui était plus qu'insupportable.

Prenant son courage à deux mains, Leith se lança, le regard fixé dans celui de sa sœur. « Je suis prêt à te pardonner. Voilà, c'est dit. Tu n'as pas besoin de dire quoi que ce soit, même : on n'a qu'à passer à autre chose, oublier les mots lancés en l'air, et voilà. Tout est bien qui finit bien. » Un sourire satisfait s'étira sur ses lèvres. Pour une fois, Leith avait l'impression d'avoir pris ses responsabilités en main et de s'être comporté en adulte face à sa sœur aînée. D'ordinaire, entre eux, la sagesse et la maturité étaient le domaine de Saige, ce qui rendait d'autant plus absurde la présente scène. Certes, Leith était reconnu pour son côté réfléchi et posé, mais avec Saige, il était plutôt habitué d'adopter le rôle du petit frère protégé par une bienveillante aînée. Et voilà que les rôles s'inversaient, alors qu'il prenait les devants dans un but de réconciliation, permettant même à Saige d'éviter de heurter son amour-propre en devant prononcer les horribles mots « je m'excuse ». Leith s'obligea à une certaine retenue, conscient que de trop exhiber sa fierté gâcherait cette démonstration de maturité toute nouvelle. Mieux valait demeurer calme, maître de ses émotions, adulte. Après tout, naïf comme il était, il ne pouvait nullement se douter de la tempête qui allait s'abattre sur lui.