matilda elle a le cœur tout émietté, si on regarde bien, on peut entrevoir des bouts disposés par-ci par-là.
des petits bouts de cœur partis avant même sa naissance, s'enfuyant avec le père au moment même où la mère annonce sa grossesse. des petits bouts de cœur partis nul ne sait où mais coincés dans la poche d'un homme qui n'était pas prêt à aimer un enfant.
des petits bouts de cœur éparpillés un peu partout dans l'appartement de l'enfance. des petits bouts de cœur dans les placards, là où elle se cachait lorsqu'elle jouait. des petits bouts de cœurs cachés sous le lit à force d'avoir regardé s'il y avait des montres. des morceaux de coeur écrasés sur les murs, là où elle se cognait quand elle et son frère chahutaient.
des petits bouts de cœur arrachés de son corps à l'instant où la mère s'injecte une dose de cocaïne dans les veines, une dernière fois, à l'instant où la mère ferme les yeux, une dernière fois. des bouts de cœur dispersés sur une tombe, celle de la mère, ainsi qu'une multitude de dessin et des milliers de larmes.
des petits bouts de cœur abandonnés sur le palier d'une vieille maison abritant une vieille dame : la grand-mère maternelle. cette femme alors jamais rencontré, cette pure inconnue ayant d'un seul coup à sa charge deux enfants, chose qu'elle n'a jamais eue, mais cette vieille dame qui fait avec.
des bouts de cœur arrachés, bousillés, mutilés, saccagés,  anéantis, brisés lorsque la police débarque dans cette vieille maison qu'elle n'avait jamais visité avant pour annoncer la nouvelle : votre petit-fils vient de se défenestrer, nous sommes désolés. la moitié d'un cœur laissé pour compte sur la tombe d'un demi-frère qu'elle chérissait tant, un trou béant dans la poitrine.
mais un cœur qui se reconstruit et qui, au fil du temps, arrive encore à s'éparpiller un peu partout. des bouts de cœur laissés aux animaux du zoo qu'elle fréquente de temps en temps, des bouts de cœur abandonnés sur les pages des livres qu'elle adorent, des morceaux de cœurs offerts aux oiseaux dont elle suit la trace, des petits bouts de cœur offerts aux gens qu'elle aime.
et des gros bouts de cœur, ceux qui manquent le plus à matilda, chez son photographe, lui. le détenteur de sa vie au moment même où elle accepte, un peu naïvement en quête d'une indépendance pas encore gagnée, d'être son modèle photo, d'être sa muse. à chaque photo qu'il prend d'elle, il capture un bout de son âme, un bout de sa raison, un bout de son cœur et la fait rendre dingue. et matilda, matilda qui se laisse faire, qui s'arracherait les tripes s'il les lui demandait, car une seule de ses caresses lui fait faire le tour de la terre.

matilda elle a le cœur grand comme le monde, grand comme l'univers, qu'elle détient dans un tout petit corps. alors parfois, quand le cœur est trop surchargé, matilda est obligée d'en laisser des petits bouts, pour se soulager un peu.