SNAP OUT OF IT ; liam & luus

L'air était immobile, lourd et pesant. C'était une nuit d'horreur qui se mêlait à l'étrange parfum du désespoir. Une nuit qui déposait les tentations à la frontière du possible, malheureusement. C'était la douce pâleur de la lune qui éclairait depuis longtemps déjà la rue qui l'avait poussé à sortir, ce soir-là. Dehors, tout semblait suspendu dans un vide immense, un instant figé dans l'univers. Dans sa vieille carcasse de métal, les paysages défilaient à vive allure et lui, semblait voler à travers son propre corps. Autour de lui, le ciel dansait, illuminé par les lumières de la nuit. Il eut envie de s'arrêter le temps d'un instant pour savourer chacune des secondes qui s'écoulaient. Mais il rugissait à travers les rues, il rugissait au-delà de tout, le cœur léger. Il ne pouvait pas s'arrêter, plus maintenant. C'était le cri du moteur au-dessous des étoiles qui faisait frémir son âme. Cette nuit-là, quelque chose en lui vibrait d'une lumière scintillante. Les lueurs d'un feu s'élevèrent soudainement à quelques mètres devant lui et il s'arrêta. C'était beau à voir et il appréciait le plus petit des détails. Excité par cette nuit d'ennui, il rangea sa veille caisse contre le bitume. C'était nulle-part et partout à la fois que le quartier des pauvres. Son quartier, celui où il avait vu les premières vagues danser devant ses yeux ébahis. Son quartier où il avait vécu ses premières expériences et où, c'était certain, il vivrait ses dernières. Las de cette nuit, il sortit de son véhicule ; ses pieds frôlèrent le macadam. Vague à l'âme, il s’enfonça dans cette rue, éclairée par quelques lumières indistinctes.
Quelques mètres, rien de plus. Le temps de franchir la distance qui le séparait du monde rugissant. Une ruelle, quelques pavés parcourus, il voulait se couper du monde, oublier, s'aérer. Loin, trop loin, il avança. Le rugissement de la ville cessa et le monde se transforma en un silence pesant qui le fit agoniser. Devant ses yeux, une silhouette se dessina peu à peu. Il se sentit soudainement vidé et devint bien trop grave pour repousser les remords qui l'envahissaient. Il regrettait, il regrettait amèrement. L'histoire ancienne, il y était sensible depuis toujours. Il lâcha un faible soupir, jeta un regard inquiet derrière lui. L'étrange besoin de s'évader de ce monde imprégna chaque parcelle de son corps, mais il résista à cette tentation. D'abord, il resta figé. Il se sentait étrangement inconnu dans cette rue qui avait été sienne jadis, presque mal à l'aise. Il resta ainsi pendant un temps qui lui parut immense, yeux baissés, visage fermé. Il était silencieux comme la Lune, brûlé comme les étoiles, caché comme le Soleil. Il eut envie de disparaître, de devenir poussière en ce monde de cendres. Puis son regard se posa sur cette forme, une nouvelle fois. Il n'aimait pas les jeunes, ni les gamins d'ailleurs. Pourtant, ce gosse-là avait toujours eu une place particulière dans son cœur meurtri. Un sentiment de nostalgie, mêlé à de la solitude, l'envahit sur le fil des regrets. Il n'était pas heureux, en cette maudite nuit. Il n'était pas lui-même non plus, d'ailleurs. C'était cette silhouette, celle du gamin, qui l'assassinait, seconde après seconde. Il était là, juste devant ses yeux. Le visage détourné de celui qui avait été son mentor, il attendait. Patientait pour des clients, des drogués, des amis, peut-être. Le gamin, il l'avait perdu il y a longtemps déjà. Perdu ou abandonné, il n'y avait plus de place pour distinguer ces deux-là. Plus aucune nuance sur cette relation teintée de noir, cette relation souillée par la trahison.  Cette relation silencieuse entre deux frères d'âmes, deux frères d'armes. Le cœur à vif, il se sentit mourir. Le grand Luus, Luus le rebelle, Luus le courageux, il était là, impuissant face au petit. « Liam. » souffla-t-il entre ces lèvres. La distance qui les séparait avala ces mots. Il n'eut aucune réponse, pas même un regard. Son murmure était faible ; son murmure était celui d'un lâche. Son regard tomba au sol comme on tombait amoureux. Il s'avança, son corps frêle se tenait à quelques mètres à peine du gosse désormais. « Liam. » répéta-t-il à haute voix. La symphonie des battements de son cœur cessa subitement.