« Lâcher prise. Tout le monde a l'air de dire que c'est la chose la plus facile au monde. On déplie les doigts un par un jusqu'à ce que la main soit ouverte. Mais cela fait trois ans que je serre les doigts et la mienne est verrouillée. Mon être tout entier est verrouillé. »

ton sourire se fane quand tu passes la porte de ta chambre. elle est là, face à toi, magnifique cléophée. tu ne sais pas d'ou vient sa beauté, l'énergie qu'elle respire et la bouffée d'air frais qu'elle t'envoie, mais tu es fière de ce qu'est devenue ta sœur. si belle, si désirable dans ce petit haut qui t'appartient. tu n'aurais peut-être pas dû le laisser à la vue de tous. d'un sourire fragile, tu la complimentes calmement et te glisses derrière elle face à la coiffeuse de votre enfance. elle s'admire et se maquille légèrement, sans t'adresser un regard. elle a toujours un don pour se rendre plus jolie encore qu'elle ne l'est. tu sais ce qu'il te reste à faire. un geste timide, puis la brosse entre tes doigts, tu glisses l'objet dans ses cheveux et démêle avec délicatesse sa crinière corbeau. tu faisais ça souvent, quand vous étiez enfant. c'est une sorte de rituel, tu sais que bientôt, elle sera loin et quelque fois, ça te chagrine. de grandir, de vivre. comment tu feras, clary, quand ta soeur ne sera pas derrière toi ? « tu vas sortir après le lycée, aujourd'hui ? » elle te demande, tout sourire. et ça te frappe, comme un éclair, dans l'orage. tu regardes le miroir, tu admires la perfection de ses traits et son sourire mesuré, tu te fixes un instant avant de détourner les yeux. et tu comprends soudainement pourquoi tout le monde connaît ta sœur et la préfère à toi. tu comprends pourquoi elle est la face la plus brillante de la pièce et que toi, petite clary, tu n'es que le revers. tu comprends, et ça ne te fait même plus mal. plus vraiment. tu lui adresses un hochement de tête, avant de parler d'une petite voix. « pourquoi ? » est ta seule question. pourquoi toi ? pourquoi souhaites-tu le savoir ? ne sors-tu pas tous les jours, toi ? pourquoi ? tu as la réponse mais tu aimerais l'entendre de sa bouche. l'entendre dire qu'elle vérifie avec qui tu traînes parce qu'elle tient à toi. mais elle ne le dit pas. et ça t'effraie, de n'être rien aux yeux de ta sœur. elle est ta moitié mais tu ne sais pas si tu l'es pour elle. c'est bancal. ça ne tient pas la route. tu vacilles et tu attends quelque chose de ta sœur mais elle ne souhaite pas te le donner. des fois, tu as l'impression qu'elle te dit que ce n'est pas le moment, que tu n'es pas prête encore, alors tu attends. mais ça n'arrive pas, ça n'arrive jamais. le silence s'étire entre vous et tu finies par oublier ta question. « joli le haut. » te dit-elle. et tu souris, puisque le haut qu'elle porte, c'est le tien, celui que tu avais placé sur un cintre en face de ta commode pour le mettre ce matin mais tu ne l'as jamais trouvé. tu souris mais tu ne dis rien, parce que ta sœur fait ce qu'elle veut. c’est comme un accord tacite, un contrat sur papier. tout ce qui est à toi lui revient de droit. une poignée de main invisible et voilà tous tes biens dans sa poche bien trop grande. tu n'as jamais rien dit, tu n'oses pas. au moins, tes animaux t'appartiennent toujours : elle les hait. c'est pour ça que vous n'habiterez pas ensemble, à la fin de vos études. elle est allergique à tout, des fois, tu te demandes même si elle n'est pas allergique aux gens.   

« J'ai senti quelque chose se coincer dans ma gorge, me coupant le souffle. Il fallait que je m'y fasse. Cette idée que quelqu'un n'est plus la, on ne s'y habitue jamais. »
elle est morte. cléophée s'en fiche, cléophée, elle ne veut que l'héritage. mais toi, fragile petite alouette, c'est la dernière chose à laquelle tu penses. ça fait deux jours, deux jours que l'enterrement est passé. et toi, clary, tu n'arrives pas à l'accepter. pas encore. ça se coince dans ta gorge, les cris s'entassent et les larmes restent coincées derrière tes paupières. tu vois le noir et tu t'y perds. l'immensité du vide dans ta tête t'effraie. tu étais proche de ta grand-mère, et tu sais qu'elle finirait par partir. mais ça te semble si étrange. impossible. ta grand-mère, elle était forte. tu la croyais impossible. et ça t'effraie. tu te retrouves funambule au-dessus du vide, tu ne t'y attendais pas. c'est comme si l'on venait de t'enlever le voile qui obstruait ta vision. il faut croire que le deuil fait grandir, fait réfléchir. tu ne sais pas, tu ne sais plus. ça te fait du mal, tout ça. ta sœur, qui semble ne s'intéresser qu'à l'argent que vous allez récupérer. toi, tu n'en veux pas. tu peux te débrouiller sans. tu veux juste que le centre équestre reste dans la famille. le phare, cléophée peut le garder. à quoi ça pourrait bien te servir ? toi, tu veux juste que le centre reste à vous, à quelqu'un de la famille. tu tiens beaucoup trop à cet endroit pour le perdre. ta soeur, qui n'a versé que quelques larmes de crocodile au-dessus du cercueil. et ça te blesse plus que tu ne peux le croire. parce que ta soeur, tu la trouves parfaite. et des fois, tu penses à ce que tu as pu lire « la femme parfaite est une connasse. ». tu n'aimes pas insulter ta soeur, mais elle est si ... impassible, insensible. ça te paraît tellement irréel. vous êtes jumelles mais rien ne vous rapproche réellement. rien. « elle te manque, n'est-ce pas ? », tu l'entends demander. le vent souffle et une main se glisse dans la tienne. tu rouvres les yeux et fixe la tombe sans ciller. il y a cléophée, à côté. tu le sais parce que tu reconnais sa main dans la tienne. et parce que cléophée, elle dégage quelque chose. tu sais toujours qu'elle est dans une pièce. les gens ne comprennent pas, pas vraiment. « un peu. je sais qu'elle devait partir mais ... » les mots s'effilochent au rythme des secondes qui passent et tu finis par étouffer un sanglot. qu'est-ce que tu voulais dire ? que tu es triste ? ça ne changera rien, elle est déjà morte, déjà enterrée. que tu es en colère ? c'est faux, clary, tu n'es jamais vraiment en colère. c'est la spécialité de cléo, d'être sur les nerfs, de hurler. toi, tu souffres en silence. que tu aimerais que ça s'arrête ? que tout se stoppe au moins une fois parce que la vie, c'est trop compliqué ? arrête de te lamenter, clary. tu sais très bien qu'il faut grandir et évoluer. tu sais aussi que ta grand-mère, elle a bien vécu. « mais quoi ? il n'y a rien à dire, clary. il faut vivre sans elle, maintenant. » sa voix te paraît dure, mais au fond, elle a raison. elle se relève et te tend la main. Elle reste en suspend, longtemps d'après toi, à moins que ce ne soit quelques secondes, mais elle ne bouge pas. elle t'attend. alors tu glisses tes doigts entre les siens et te redresses avant qu'elle ne se colle à toi pour une étreinte fraternelle. et ça te fait du bien. vous restez ainsi, tu aimerais bien que le temps d'arrête, parce que cléo, ce n'est pas le genre à être très tactile souvent. tu aimerais qu'ils éteignent les lumières, qu'ils couvrent le soleil pour que les étoiles se rallument. pour que ce soit la nuit et que tu puisses dormir avec ta sœur, comme quand vous étiez enfant. mais vous grandes, maintenant. adulte. et il va falloir apprendre à l'être, complètement. elle embrasse ton front comme l'aînée qu'elle aurait pu être et toujours en gardant sa main dans la tienne, te raccompagne à la voiture. un jour, il faudra peut-être penser à lui dire, à ta sœur, que tu l'aimes.

« Dans la vie, il faut parfois faire des choix, et parfois ce sont les choix qui te font. »
elle l'embrasse. il sourit. elle rit. il caresse ses cheveux. il entoure ses épaules d'un bras protecteur. elle lui donne une bouchée de son plat et il l'embrasse encore. et toi, tu as l'impression que quelque chose fait défaut. comme si un boulon s'était coincé et que tu te retrouvais tout à coup bloquée. stoïque, tu les regardes et tu manges pour ne pas pleurer. c'est toujours douloureux. un peu moins qu'avant, un peu moins qu'hier, et sans doute plus que demain. c'est comme le souvenir d'une douleur fulgurante. depuis deux ans, ça part, un peu. puis ça revient, l'annonce du mariage, ça t'a remis un sacré coup. puis ça repart. et ça s'estompe, au fil des jours. maintenant, tu ne grimaces plus quand il te parle de cléophée. tu l'écoutes, tu lui dis oui, ma sœur est un peu comme ça. j'ai pas l'impression que tu la connaisses vraiment, parce que tu ne vois que sa perfection, mais bon, ça doit être l'amour qui fait ça. et tu te dis que tu n'es pas totalement amoureuse, parce que tu continues à le trouver idiot quelque fois. c'est ça qui te fait rire. ses maladresses, les imbécillités qu'il dit et que tu corriges avec le sourire. peut-être n'es-tu pas aussi amoureuse que tu le penses. peut-être que c'est comme une grippe et que ça finit par disparaître complètement, avec du temps. mais tu as encore le goût amer de la déception dans la bouche. il faut te faire une raison. ta soeur sort une anecdote de votre enfance et tu souris, ça sonne un peu faux parce que tu n'as jamais été douée pour mentir, mais tu t'en fiches. tu souris et c'est ce qui compte. tu te remémores ô combien tu aimes ta sœur et tu es comblée de voir que leith est heureux. tu tiens la chandelle et ton meilleur ami est trop obnubilée par cléophée pour faire attention à toi. ta sœur te lance des regards, quelques fois, avec son sourire compatissant. tu as l'impression qu'elle hurle, je fais ça pour ton bien. mais cléophée, elle ne pense pas souvent à toi. à vrai dire, tu restes persuadée que c'est elle, ça a toujours été elle avant toi. comme si elle ne t'avait pas pardonné d'être la première à sortir. tu attrapes la serviette qui est sur tes genoux et la poses sur la table en adressant un sourire timide à la tablée. tu poses la chandelle imaginaire que tu tiens depuis le début du repas et t'excuses platement. « je vais devoir y aller. je dois passer voir swiffer et demain, je travaille. » leith acquiesce, les yeux rivés sur ta sœur qui t'observe en silence. un sourire finit par naître sur ses lèvres. tu as alors l'impression d'avoir dit une bêtise, tu ne comprends pas. c'est toujours comme ça, avec cléo. tu sais qu'elle démêle tes secrets sans faire d'effort. elle lit en toi comme dans un livre ouvert. aucune intimité, elle a la clé pour pénétrer dans ta tête. tu as même l'impression qu'elle te connaît mieux que tu ne te connais toi-même. à vrai dire, tout le monde semble mieux te connaître que toi. c'est agaçant. et vachement étrange. ton excuse tient la route, enfin, tu le pensais ... « on est samedi, clary. tu ne travailles pas le dimanche. », finit-elle par dire. avec un clin d’œil, elle t'adresse cependant un signe de la main et te souhaite une bonne soirée. tu esquisses un sourire, la remerciant en silence comme vous savez le faire et finit par t'enfuir. sur le chemin du retour, tu réfléchis à tout ça, et tu finis par faire un choix. prendre une décision. ta sœur mérite tout le bonheur du monde, et bien plus encore. tu ne veux que le bonheur de leith, aussi. s'il est heureux avec elle, pourquoi pas. tu accepteras. tu les soutiendras. tu n'as pas vraiment le choix. et encore une fois, tu dis au revoir à quelque chose que tu aimes au profit de ta sœur. tu ne t'en rends même plus compte, c'est absurde. tu fais une croix sur leith et tu acceptes silencieusement de le voir s'unir à cléophée.
après tout, n'est-elle pas la perfection incarnée ? tout le monde rêverait de l'épouser. .

« On vient de shooter dans mon coeur pour me l'envoyer dans le recoin le plus lugubre de moi-même. »
« tu sais, ce n'est pas sa faute si grand-mère a choisi de lui donner une partie de son héritage. », tu murmures en tapant sur ton clavier. cléo, elle est passée chez toi en fulminant. elle ne s'en est toujours pas remis, de l'arrivée de lys, de lys avec le phare, d'avoir perdu cette partie de l'héritage. toi, ça t'importe peu. pire encore, tu aimerais bien la connaître, la petite lys. « ce n'est pas ... sa faute ? mais tu te fiches de moi clary ? cette petite garce a tout fait pour me voler MON héritage ! » crie-t-elle. tu hausses un sourcil en relevant la tête de l'article que tu tentes de rédiger au calme, sereine. à croire que cléo adore arriver au mauvais moment. et tu regardes ta sœur, avec ce petit sourire qui lui dit, t'inquiète pas, tout va bien. le sourire de l'aînée qui protège la cadette. cléo, elle semble se calmer à vue d’œil. elle se laisse tomber sur le fauteuil et tu reprends ton écriture. tu appuies une dizaine de fois environ sur les touches avant de lui répondre. « [/i]ton[i] héritage, cléo ? franchement, je te dis qu'elle n'y est pour rien mais ... d'accord ! d'accord, c'est bon, j'arrête. » finis-tu par obtempérer en lui adressant un sourire. voyant bien qu'il est impossible de finir ton article tant que ta soeur sera dans les parages, tu te redresses, enfiles ton manteau et lui adresse un sourire timide. « je sais qu'il est hors de question que tu sois trop grosse pour rentrer dans ta robe, dis-tu avec un petit rire, mais j'aimerais que tu m'accompagnes manger une glace. » tu sais qu'elle n'en mangera probablement pas et qu'encore une fois, tu te goinfreras de glace à la vanille, mais tu t'en fiches. tu ne lui demandes pas comment va leith puisque tu l'as vu, pas plus tard qu'hier, venant lui demander conseil pour un bijou pour sa chère et tendre.

délicate clary, tu as toujours été la bonne poire dans l'histoire, n'est-ce pas ?.

Clarissa Bishop a écrit:

et si cléo pouvait attendre un peu avant d'arriver, je ne dis pas non.   
le temps que je termine ma fiche, que je lui vole son fiancée, toussa.   

Spoiler: