unconditionnally.

Alex a deux ans. De toute façon c'est toi le chouchou, maman dira rien. La fillette lui tire la langue. Le petit Alex comprend pas trop ce que sa soeur lui dit. C'est quoi un chouchou ? Il n'en a aucune idée. Ça fait tout juste un an qu'il sait marcher sur ses pieds sans être irrésistiblement attiré par le sol, et seulement quelques mois qu'il balbutie des phrases souvent incohérentes. Mais plus tard cette phrase restera son tout premier souvenir. Perrie a mangé tous les cookies qu'elle avait préparé pour tout le monde. C'est pas de sa faute, elle est gourmande. Depuis que Alex est né, il l'a toujours vue avec de la nourriture dans la bouche. C'est quoi ce bazar ? Alex lève ses gros yeux de bambin vers sa maman. Elle le fixe avec les sourcils froncés. Perrie a laissé des miettes partout. Mais elle est déjà partie, en laissant un dernier morceau de cookie dans les mains de son frère. Alex comprend de moins en moins ce qui lui arrive. Sa maman se penche, soulève le petit garçon et le prend dans ses bras. Puis elle avance à pas de loup jusqu'au mur. Alex ne bouge plus. Tout à coup, elle saute de l'autre côté du mur et un cri retentit. La petite Perrie est plaquée contre le mur, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte. Perrie Hamilton, votre supercherie n'a pas marché ! Perrie cligne des yeux plusieurs fois et reste figée. Qu'est-ce qui se passe ici ? Allie se retourne et voit son mari arriver en courant, paniqué. J'ai entendu un cri ! Perrie s'est blessée ? La concernée ne bouge toujours pas, et Allie éclate de rire. Ralph, je t'annonce que ta fille, à sept ans à peine, est la plus machiavélique des petites filles. Alex joint son rire à celui de sa mère, même si il ne comprend toujours pas ce qui s'est passé. Perrie est maintenant rouge comme une tomate et les yeux rivés au sol, honteuse d'avoir été prise la main dans le sac. Allie s'accroupit pour être à la hauteur de sa fille et cherche son regard. Viens mon coeur, on va en refaire plein. Perrie relève les yeux et retrouve le sourire avant de suivre sa mère dans la cuisine.

Alex a trois ans. Il se jette dans la voiture, suivi de sa soeur. Allez on se dépêche, maman va pas garder le ventre tout rond encore longtemps ! Le petit garçon est tout excité. C'est la première fois que tout le monde s'agite autant, c'est la première fois que sa maman a un ventre aussi gros. Perrie le regarde en se moquant. Elle, elle a déjà vécu ça, quand c'était Alex qui était dans le ventre. Elle s'amuse beaucoup à lui rappeler qu'elle l'a vu quand c'était un minuscule bébé tout moche qui pleurait tout le temps. Te fais pas trop d'espoir microbe, tu resteras le plus laid de nous trois. On dirait pas comme ça, mais Perrie adore son frère. C'est toujours une peste avec lui, mais c'est pour plaisanter, juste un peu, parce qu'il lui a quand même volé la vedette le jour où il est venu au monde. Mais c'est la première à le défendre quand les autres à l'école se moquent de lui à cause de ses lunettes. Alex lui répond simplement en lui tirant la langue. Il peut rien faire de plus, elle est plus grande que lui et elle sait mordre. Il attend patiemment le jour où il sera plus grand qu'elle. Dites bonjour à Maddison. Après des heures interminables dans la salle d'attente, à remuer les jambes dans le vide parce que ses pieds touchent pas par terre, Alex entre dans la chambre d'hôpital qu'on a indiquée à son père. Sa maman est allongée dans un lit et elle a un petit tas de linge posé sur le ventre. Alex accourt, il s'est inquiété pendant trop longtemps. On lui a dit que sa mère avait un bébé dans le ventre, mais ça avait dû sûrement lui faire mal de l'en enlever pour que ça prenne autant de temps. Mais elle sourit, elle a l'air d'aller bien. Elle tourne son regard sur Alex qui s'est arrêté aux pieds du lit. Viens là mon petit tigre. Elle l'aide à monter et le laisse s'installer à côté d'elle. Ralph pose Perrie au sol pour attraper sa caméra et filmer ce moment. Alex s'approche de la boule de tissu et voit deux yeux qui le fixent. Salut Maddie. Perrie a l'air de connaître cette chose. Alex tend un doigt pour essayer de la toucher, mais une minuscule main le lui attrape avant. Bienvenue chez les fous.

you're gonna hear me roar.

Alex a sept ans. Je compte sur toi aujourd'hui mon chéri. Il se raidit comme un piquet et se tient au garde à vous. Il se retourne vers sa petite soeur qui se cache derrière un coussin. Ça lui fait quatre ans maintenant. Et aujourd'hui, sa protégée fait ses premiers pas à l'école. Alex s'est porté volontaire sans réfléchir pour l'accompagner en ce grand jour. Maddie c'est son trésor. Elle, elle se moque pas de lui, et il veut la protéger de la méchante Perrie. Viens là princesse. Sauf que Perrie elle est pas méchante avec Maddie. Elle, elle a droit aux surnoms mignon. Alex, c'est toujours un microbe. Perrie soulève sa soeur du canapé et la prend dans ses bras. Ça va bien se passer tu vas voir. Maddie porte ses doigts à sa bouche, comme à chaque fois qu'elle est effrayée. Allie finit de préparer les sacs de ses enfants. Ralph descend enfin. Il s'approche de sa femme et l'embrasse sur la joue comme tous les matins. Désolé, j'ai entendu le réveil au bout de la sixième fois. Puis il ébouriffe la tignasse de son fils, embrasse Perrie sur la tête et vient prendre sa dernière fille dans ses bras. Alors c'est aujourd'hui le jour j marshmallow ? Maddie sourit malgré elle et malgré la peur évident sur son visage. Elle secoue ensuite la tête de bas en haut pour confirmer ce qu'a dit son père. En route Maddie, on est pas en avance. Comme un bon grand frère responsable, Alex enfile son sac à dos, prend celui de sa petite soeur et lui installe sur les épaules, puis il prend sa petite main dans la sienne. Perrie est au collège maintenant, c'est donc plus pratique pour tout le monde que Alex s'occupe de Maddie, puisque la maternelle est dans le même groupe scolaire que son école primaire. Alex, je veux pas y aller. Le garçon rigole gentiment et s'arrête. T'as peur de quoi ? Il se penche pour la regarder dans les yeux. Je.. je connais personne.. Alex s'attendait à cette réponse. Il lui sourit et lui caresse la tête. Tu es Maddison Hamilton-Greene, kiwi. On oublie jamais les petits noms mignons pour rassurer dans la famille. T'as peur de rien ni de personne, tu vas rentrer dans cette école et tu vas cartonner, parce que t'es la plus géniale des princesses du monde. Maddie a de nouveau le sourire.

Alex a douze ans. Ça y est, ce jour est arrivé. ALEX POSE MOI TOUT DE SUITE ! Enfin. Il avait attendu depuis tellement longtemps. Tu peux toujours courir ma grande. Sur ces mots, il s'arrête un quart de seconde et éclate de rire à sa propre blague. Parce que c'est fini. Toutes ces années de dictature et d'humiliation, c'est fini. Aujourd'hui, c'était la mesure annuelle des enfants. L'année dernière encore, Perrie avait ridiculisé son frère pour la énième fois de sa vie, parce qu'il était toujours plus petit qu'elle, à deux ou trois pauvres centimètres. Mais c'est fini, vraiment fini. Alex a exactement quatre centimètres de plus que sa soeur. Enfin. J'ai rêvé de ce moment toute ma vie, microbe. Il avance à grands pas, profitant de sa vengeance bientôt assouvie à chaque pas en plus. Il s'est jamais senti aussi bien, aussi puissant, aussi fort. C'est génial d'être un garçon et de grandir beaucoup à un certain âge. MAMAN JE T'EN SUPPLIE EMPÊCHE-LE ! Alex traverse la cuisine, toujours avec Perrie sur son épaule. Son père arrive derrière lui avec Maddie sur les siennes. De toute façon c'est moi la plus grande ! Ralph la fait tournoyer tandis que Perrie continue de se débattre. Allie reste concentrée sur ses sandwiches et ne lève même pas les yeux. Tu sais bien que personne ne peut plus rien pour toi ma chérie. MAMAN TU VAS PAS M'ABANDONNER ! FAIS QUELQUE CHOSE, TON FILS EST TARÉ ! Tu vas plus crier encore longtemps toi.. Alex arrive enfin à la baie vitrée, l'ouvre à la volée et se dirige sur la terrasse. ALEX, POUR LA DERNIÈRE FOIS, LÂCHE MOI ! Le garçon esquisse un sourire très mesquin. A vos ordres. A ces mots, il s'approche du rebord de la piscine et jette sa soeur à l'eau. Un cri fend l'air, suivi d'un bruit d'éclaboussure, et l'adolescente se retrouve trempée de la tête aux pieds. ALEXANDER ESPÈCE DE.. Ma chère Perrie, depuis des années j'attends ce merveilleux moment, tu ne voudrais rien gâcher et surtout pas choquer les oreilles de notre petite Maddie avec ton vocabulaire déluré. Le reste de la famille rit en choeur, Perrie se traîne jusqu'aux marches de la piscine en marmonnant dans sa barbe et Alex la regarde, toujours avec un sourire en coin.

the one that got away.

Alex a treize ans. Ensuite.. Fitzgerald, Hamilton. Il jette un regard à sa voisine. Un an de plus. Il pose ses yeux sur le professeur et le maudit du plus profond de lui-même. Il sent alors qu'on le fixe, mais il se demande pas bien longtemps qui c'est. Rassure-toi, ça me fait autant plaisir qu'à toi. Alex lui offre en plus un gigantesque sourire qui traduit tout son désarroi. En même temps on choisit pas son nom, et si il avait pu, Alex aurait pris la lettre la plus éloignée de Fitzgerald. Parce que Fitzgerald, c'est Charlotte Fitzgerald. Sa partenaire de travaux pratiques depuis son entrée au collège. Et elle le sera sûrement pour les trois ans à venir. Si ça te dérange pas j'aimerai bien que cette année tu évites de me brûler accidentellement les cheveux. Alex lève les yeux au ciel et tire la langue. Il peut décidément pas la saquer. Déjà physiquement elle l'agace ; elle est aussi grande que lui alors qu'il se vante de grandir vite ces derniers mois, elle est toute mince, elle a de longs cheveux blonds. Non, vraiment pas. C'est typiquement le genre de personne trop bien pour être honnête. Ses dents toutes blanches et son regard ravageur c'est louche, ça cache quelque chose. Je brûlerai rien du tout si tu touchais pas à mes affaires et si tu restais à ta place. T'as compris le principe d'un travail à deux Hamilton ou il faut que je te réexplique ? Le visage d'Alex se renfrogne. Qu'est-ce qu'elle peut l'agacer. Les filles déjà à la base c'est chiant, mais là il a tiré le gros lot. Elle l'énerve peut-être même plus que Perrie. C'est pour dire. Hamilton, ça suffit les bavardages, vous vous raconterez vos vacances plus tard. Et ce vieux prof de physique, lui aussi il s'est promis de lui gâcher la vie cette année. C'est pas moi monsieur, c'est Charlotte qui me parle. N'importe quoi.. Monsieur Hamilton, ce n'est plus de votre âge ce genre de comportement. Alex se mord la joue. Ça commence bien. Il le sait pas encore, mais Charlotte est loin de sortir de sa vie.

Alex a quatorze ans. Il s'est enfermé dans sa chambre et ne compte pas en sortir. Alex, prépare toi c'est bientôt l'heure.. Il a pas envie que ce soit l'heure. En fait, il veux juste se réveiller et voir que tout ça, c'est qu'un mauvais rêve, un putain de cauchemar. Ça peut pas être vrai de toute façon. Comment on peut partir comme ça ? Hey microbe, je sais que c'est pas facile mais il faut le faire. Non elle sait pas. Des trois enfants, Alex était le plus proche de sa mère. Il partageait tout avec elle depuis toujours. Et à cause de ça, aujourd'hui il aimerait mourir lui aussi. Il veut pas d'une vie sans elle. Il s'est pas arrêté de pleurer tous les soirs depuis le diagnostic de sa mère. Ça fait pas viril de pleurer, c'est ce que lui disait Perrie pour essayer de le réconforter. T'inquiètes pas fils, ta mère est forte, elle va s'en sortir, ça c'est ce que son père lui répétait, mais il avait pas l'air convaincu non plus. Comment on peut se sortir d'un cancer ? Alex est pas con, il savait que c'était perdu d'avance. Il y croyait plus alors que sa mère était toujours en forme, au début. Mais il a rien demandé, il a rien fait de mal. Pourquoi on lui a pris la personne qu'il aimait le plus ? Alex.. L'adolescent se redresse en reconnaissant la voix de sa Maddie. Il s'est levé tôt ce matin pour être prêt, mais quand il eut fini de s'habiller et de se coiffer, il s'est effondré sur son lit, la tête sous un coussin. Il pleure plus, depuis qu'elle est parti. Les larmes restent coincées dans sa gorge, brûlantes, amères. Il n'a plus rien à pleurer. La porte s'ouvre lentement et la petite Maddie entre, dans sa jolie robe noire et ses souliers vernis. Alex se reprend immédiatement. Il a pas le droit d'avoir mal maintenant, il doit être là pour les autres, pour sa famille, pour sa Maddie. Je veux pas y aller sans toi.. Elle a une toute petite voix. Alex tend une main et amène sa soeur jusqu'à lui. Il la prend dans ses bras et la serre fort contre lui. Puis il se lève. Elle a grandi, mais lui aussi. Il la dépasse de loin. La pauvre Maddie ne sera jamais la plus grande de la maison.

all we have is this moment.

Alex a dix-sept ans. Tu m'expliques ? La lettre est arrivée ce matin. Il fallait bien que ça arrive un jour. T'as déjà tout lu j'imagine, je vois pas ce qu'il y a à expliquer. Ralph reste immobile, le regard perdu. Il sait plus comment s'y prendre avec son fils. C'est la dégringolade depuis quatre ans. Alex a toujours été un bon élève, pas excellent, mais ses parents n'avaient jamais douté qu'il réussirait dans la vie. Sa mère surtout. Elle ne travaillait plus depuis qu'elle avait eu Maddie, et elle avait pris à coeur la scolarité de ses enfants. Après sa mort, Alex n'a plus fait ses devoirs. Il s'en est sorti quand ça restait facile, et il peut continuer à s'en sortir. Mais le lycée c'est pas l'école primaire, il suffit pas de compter sur ses mains pour réussir un contrôle de maths. Alex, c'est pas normal ce genre de courrier. Une fois de plus, Alex était collé pour un devoir non rendu. Mais il l'a déjà dit à tous ses profs, tous les devoirs en classe il les fait sans problème. Mais qu'on lui demande pas de travailler chez lui. Ecoute, j'y peux rien si ils comprennent pas ma façon de bosser. Son père n'a pas l'air convaincu. Toi non plus tu comprends pas de toute façon. Ça fait quatre ans que c'est comme ça. Quelque chose s'est cassé au moment du drame. Alex a changé, beaucoup. Ni dans un bon ni dans un mauvais sens. Il s'est beaucoup rapproché de ses soeurs et de ses amis, en même temps qu'il s'est radicalement éloigné de son père. Il ne le déteste pas, il l'aime toujours autant, mais il lui en veut toujours, d'avoir laissé partir sa mère. Il faut bien un responsable à cette histoire, sinon il n'y a pas de sens à tout ça. Je vais voir Charlotte. Alex se lève sur un coup de tête, enfile une veste et se dirige vers la porte d'entrée. Charlotte, c'est plus cette garce du collège qu'Alex aurait étranglé volontiers. Même si ils ont gardé leurs habitudes de se chamailler à longueur de journée, ça a changé entre eux. Parce qu'Alex s'est rendu compte que au fond, Charlotte c'était un peu lui en nana. Ils se tapaient dessus seulement pour une histoire de cheveux brûlés. Tu rentres quand ? Alex baisse ses yeux vers le sol comme pour y trouver une réponse. Je sais pas si je rentre. Et il claque la porte.

Alex a vingt ans. C'est une blague ? La jeune femme est venue dîner à la maison, comme tous les dimanches depuis qu'elle a emménagé toute seule. Mais aujourd'hui elle a apporté une surprise, une jolie enveloppe avec une jolie carte dedans. Alex a eu peur à peine Perrie l'eut sortie de son sac. Il avait deux hypothèses, l'une des deux était forcément juste, et ça l'inquiétait autant l'une que l'autre. Soit Perrie était enceinte et voulait l'annoncer de façon théâtrale comme elle aime faire, soit.. Tu vas pas épouser cet abruti ? Perrie foudroie sa soeur du regard. Leur père, en bout de table, ne sait pas si il doit approuver Maddie ou rester tranquille. Non mais Perrie, elle a raison. Ça n'a pas l'air de la calmer. Vous êtes vraiment pénibles, vous l'avez rencontré une seule fois, et ce jour-là il avait choppé la crève. Maddie et Alex sourient en se rappelant ce souvenir. Le crétin de petit ami de Perrie avait passé son temps à vomir ses tripes dans les toilettes. Pour une première rencontre avec la famille, c'était pas la plus réussie. Votre soeur a raison, on peut pas juger quelqu'un qu'on a à peine vu de la soirée. Ralph ponctue sa phrase d'un petit rire, que Maddie et Alex rejoignent. Perrie se renfrogne un peu plus, et tout le monde se reprend. Désolée ma chérie ça m'a échappé. Il se racle la gorge pour retrouver son sérieux. C'est pour quand ? Perrie retrouve des étoiles dans les yeux. Cet hiver, décembre sera parfait. Qu'est-ce qui faut pas entendre.

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